Chapitre 18
Chère Betsy,
Je suis un nouveau vampire – j’ai été attaqué et tué par un autre vampire lors du voyage de classe de terminale, il y a huit ans – et je ne suis pas sûr de comprendre le protocole d’aujourd’hui. Les choses étaient différentes sous le règne de Nostro et je ne sais pas comment agir avec vous. Il y a une fille dans ma vie que je vois de temps en temps. Elle me laisse la mordre, mais elle est persuadée que ça fait partie d’un jeu. Parfois, je me fais d’autres amies et je les mords à une ou deux reprises. C’est très difficile parce que je dois me nourrir tous les jours, mais je ne veux tuer personne. Est-ce que vous auriez un conseil à me donner ?
Le Mâchouilleur de Chaska
Cher Mâchouilleur,
Tu es sur la bonne voie : ne tue jamais personne si tu peux l’éviter. Ce n’est pas leur faute s’ils sont vivants, ni la tienne si tu es mort. Pour ma part, j’essaie de mordre des méchants. Tu sais, le genre de type qui veut m’emmener dans une allée sombre pour rencontrer son pote, ou qui force une voiture… des gens comme ça. Ainsi, j’ai l’impression de les punir pour les crimes qu’ils commettent, et en même temps, je me nourris. Essaie ma méthode et vois si ça marche pour toi.
Si, un jour, tu rencontres une personne chère à ton cœur, tu pourras peut-être lui avouer ton secret et elle acceptera de t’aider. De plus, en vieillissant, tu n’auras plus besoin de te nourrir autant. Alors reprends courage ! Tu en verras le bout.
— Ce n’est pas mal, dit Jessica. Comme la newsletter vient de commencer, je suppose que tu as dû inventer la première question ?
— Oui.
— Bientôt, tu recevras de vraies lettres, ne t’en fais pas ! Pour un début, c’est plutôt bien.
J’éclatai en sanglots.
— Oh ! mince ! s’exclama Jessica en posant la feuille de papier pour se précipiter vers moi. Je ne savais pas que tu étais aussi sensible à ce sujet ! Pour une première fois, c’est vraiment réussi. Tu donnes beaucoup de… beaucoup de bons conseils.
— Sinclair ne partage plus ma chambre, me plaignis-je.
— En même temps, il n’y avait pas vraiment emménagé, ma chérie.
Mes pleurs redoublèrent.
— Je ne voulais pas dire ça. Vous vous êtes disputés ?
— C’était horrible. La pire dispute de toutes.
— Pire que lorsque tu pensais qu’il draguait ta sœur ?
— J’aurais préféré qu’il ne s’agisse que de ça, hoquetai-je.
— OK, est-ce que tu peux m’en parler ?
— Non, me lamentai-je.
L’humiliation de Sinclair était encore fraîche. Pas question de faire passer le mot.
Jessica me versa une tasse de thé – nous nous trouvions dans la cuisine – avant de se rasseoir près de moi. Ma lettre peu convaincante reposait sur la table entre nous. Il fallait que je trouve quelque chose, n’importe quoi, pour ne pas penser à notre dispute, d’où ma rubrique Chère Betsy.
— Tu as fait quelque chose de mal, ma chérie ?
— Je ne crois pas. Je pensais que c’était une bonne chose. La preuve d’une bonne chose, en tout cas. Mais il n’est pas d’accord. Alors, il est parti. Ça fait déjà deux nuits et il n’est toujours pas revenu. Je ne l’ai même pas croisé dans la maison. Je vois davantage George le monstre que mon propre fiancé.
— OK… Rassure-moi, tu ne t’amuses pas à tuer des petits scouts ou un truc dans le genre ?
Je secouai la tête.
— Rien à voir.
— Et tu n’as pas lu le Livre… Betsy ! s’écria-t-elle en me voyant légèrement hocher la tête. Ne me dis pas que tu es de nouveau maléfique ?
— Si seulement ! J’ai simplement lu un passage qu’il voulait me montrer pour appuyer son argumentation. Après, il l’a refermé et il est parti avec.
— Bon… Est-ce que c’est un truc pour lequel tu peux t’excuser ?
— Non, je ne crois pas. De toute façon, je me suis déjà excusée. Mais nous étions vraiment en colère tous les deux. Je ne sais pas s’il m’a entendue. J’ai gardé le secret pendant très longtemps, alors je suppose que je peux lui répéter que je suis désolée de ne pas lui avoir en avoir parlé tout de suite.
— C’est un début, pas vrai ?
— Il a peur de moi, maintenant, murmurai-je.
Jessica éclata de rire, si fort qu’elle frappa la table du plat de la main.
— Peur ? Sinclair ? De toi ? (« Bam ! Bam ! ») Elle est bien bonne celle-là ! (Elle soupira en se frottant les yeux.) Répète-moi ça : j’avais vraiment besoin d’une tranche de rigolade.
Je lui adressai un regard noir.
— Je suis sérieuse, Jessica. Ce que je lui ai dit lui a fait peur. Jusqu’à présent, il voyait d’un bon œil que je puisse faire des choses dont les autres vampires étaient incapables…
— Et n’oublie pas qu’il n’hésitait pas à s’en servir pour arriver à ses fins, fit-elle remarquer.
Ses joues brillaient encore des larmes qu’elle avait versées en riant.
— Oui, je sais. Mais il n’avait jamais eu, tu sais, peur des choses que je pouvais faire. Il était simplement… impressionné. Il approuvait mes pouvoirs, et que je tue Nostro et Machine, là… Monique. Il a même adoré apprendre que la mère de ma sœur était le diable. Mais c’est la première fois qu’il a peur de moi. Je te le jure. Je ne plaisante vraiment pas.
— Si je comprends bien, cette chose, peu importe de quoi il s’agit, l’a terrifié.
Me frottant les yeux – par habitude seulement, je ne versais plus de véritables larmes –, je hochai la tête.
— Alors, tu vas t’excuser auprès de lui pour ne pas lui en avoir parlé plutôt, et après, tu devras attendre qu’il s’en remette.
— Attendre ?
— Ma puce, tu l’as bien regardé ? Est-ce qu’il a l’air d’être le genre d’homme qui a peur de quoi que ce soit ? Surtout de sa petite amie ? Il a besoin de temps pour s’habituer à cette idée.
— Combien de temps ?
— Quelle importance ? Vous êtes immortels, me rappela-t-elle.
— Mais… et le mariage ? Il faut qu’on l’organise. Je ne peux pas m’en occuper toute seule.
— Dans ce cas, recule encore la date.
— Je ne peux pas ! m’exclamai-je, horrifiée. Impossible. Il est persuadé que… Peu importe. Je ne peux pas l’annuler. Au contraire, je vais passer à la vitesse supérieure.
— Tu es certaine que cette chose que tu as faite n’est pas maléfique ? Mais non, suis-je bête : on parle de Sinclair. Le mal ne lui fait pas peur. Ça l’excite, au plus profond de lui-même.
— Crois-moi, ça n’a rien de maléfique.
Elizabeth Ô Elizabeth… tu es douce comme le vin, tu es… tout. Je t’aime, il n’y a personne d’autre. Personne. Je n’allais certainement pas entendre ces mots de sitôt. Alors autant m’habituer aux rediffusions mentales.
— C’est carrément l’inverse. Je pensais que… c’était merveilleux. Mais lui, il…
Je pleurai encore plus. Ce n’était pas très cool, mais je ne pouvais pas m’en empêcher. J’étais persuadée que Sinclair était la personne sur laquelle je pouvais le plus compter en ce monde, peu importait ce qui se passerait…
— Rassure-moi, il est toujours là ? m’enquis-je en m’emparant d’un mouchoir, toujours sous le coup de l’habitude. Dans la maison, je veux dire. Il n’a pas déménagé ?
— Pas que je sache, ma chérie. Il a probablement battu en retraite vers son ancienne chambre, le temps de mettre de l’ordre dans ses idées. (Quand je baissai la tête, Jessica passa la main dans les mèches de cheveux qui tombaient devant mon visage.) Pauvre Bets ! Si ce n’est pas une chose, c’est l’autre. Tu veux que je reste avec toi ce soir ?
— Oui, on pourrait… Ah non !
— Tu m’en vois flattée, marmonna-t-elle.
— Non, je veux dire… Ce soir, c’est le grand soir. Tu sors avec Nick. Tu ne peux pas rater ça.
— Je peux toujours reporter, répondit-elle d’une voix douce.
— Mon cul !
— Ah non ! Ça, ce n’est pas sur mon agenda, lança-t-elle gaiement. Tu sais, il m’a peut-être invitée parce que tu es prise…
— Je suis prise ! rétorquai-je.
— Mais il est hors de question qu’on parle de ton cul. Ou de tes seins, ou de ta personnalité étincelante… qui, il faut l’admettre, n’est pas si terrible à l’heure qu’il est.
Sa façon de me taquiner me fit sourire légèrement.
— Tu ne reportes pas. Tu y vas. Point final. Je trouverai bien quelque chose pour m’occuper.
Au même moment, les portes battantes à l’autre bout de la cuisine s’ouvrirent pour révéler Jon qui entra dans la pièce comme le plus jeune cow-boy du monde.
— Alors ? Prête à me raconter l’histoire de ta vie ? demanda-t-il en agitant son smartphone.
— Bon, fit Jessica en se levant de son siège, si cette chose que tu as faite était maléfique – mais je ne dis pas qu’elle l’était, je te fais confiance –, tu vas en payer le prix maintenant.